N’oublions pas les morts de Stalingrad

Tribune Sète.fr – avril 2022

La majorité municipale a décidé de débaptiser la place Stalingrad pour lui donner le nom de V. Hugo.

L’illustre écrivain a pourtant déjà, à Sète, son avenue et son collège. Quitte à renommer cette place, il aurait pu être enfin saisie l’occasion de choisir le nom d’une femme, car 95% de nos rues, places et bâtiments publics portent des noms masculins. Alors que le quartier rend hommage à Voltaire ou à Rousseau, pourquoi ne pas avoir pensé à Olympe de Gouge, emblème historique du féminisme en France ?

Sète doit se soucier de la juste reconnaissance de la place des femmes dans l’espace public. Et, au moment où l’Europe voit ressurgir les démons du passé, notre ville ne peut participer à effacer de sa mémoire ce que fut “Stalingrad” dans l’Histoire : un tournant décisif de la Seconde guerre mondiale, la première défaite d’Hitler et, à travers elle, la référence aux plus de 20 millions de russes morts pour la liberté des Européens. C’est parce que nous avons cette mémoire qu’aujourd’hui encore, face au drame ukrainien, nous ne confondons pas les actuels criminels de guerre du Kremlin et le peuple russe.

Nous ne devons pas oublier les raisons profondes qui ont conduit, en 1946, notre conseil municipal à baptiser ainsi cette place. On ne peut bâtir l’Europe de la paix, sans se souvenir que ce qui la fonde c’est le refus de revivre l’horreur de la guerre. On ne peut honorer Hugo en effaçant Stalingrad.

Place Stalingrad : pourquoi effacer plutôt qu’honorer ?

Conseil Municipal, séance du 21 mars 2022- délibération 19 – Dénomination de la place Stalingrad en Victor Hugo

Intervention de Laurent Hercé

Place Stalingrad : pourquoi effacer plutôt qu’honorer ?

Ainsi, la place Stalingrad va être renommée en “Place Victor Hugo”.

Décision qui interpelle et qui laisse circonspect. D’un point de vue historique et mémoriel d’une part.  Et du point de vue de la parité et de la reconnaissance de la place des femmes dans notre cité d’autre part.

Supprimer la dénomination Stalingrad, c’est faire un contresens historique. Car cette dénomination de la place ne rend pas hommage à Staline, elle rend hommage aux combattants tombés pour notre liberté pendant la seconde guerre mondiale.

Pour tous les russophones, y compris les populations de l’ex-URSS comme les Ukrainiens et les Biélorusses, cette bataille illustre le courage des populations civiles et des combattants face au péril Nazi.

C’est pourquoi la ville a été rebaptisée en Volgograd, « ville des héros » Nous ne leur rendons peut-être pas suffisamment hommage.

Il peut être bon de rappeler quelques chiffres du bilan de la seconde guerre mondiale (estimations, avec pourcentage de la population du pays) :

Pertes américaines (sur l’ensemble des champs de bataille) : 420.000 essentiellement militaires (0,30%)

● Pertes françaises : 570.000 pour moitié des civils (1,35%)

● Ex-URSS : entre 22 et 25.000.000 morts (13 à 16%), plus de la moitié sont des civils

● En Ukraine, 6.800.000 morts (16,5%). En Biélorussie, 2.300.000 morts soit 25% de la population !

En ne rendant pas suffisamment hommage à ces peuples proches tombés aussi pour nous, nous accréditons l’idée que leur sacrifice n’est pas traité à sa juste valeur, et nous faisons le jeu de Vladimir Poutine et des nationalistes russophones de tout poil.

Voilà pourquoi garder Stalingrad avait un sens profond qui pouvait être rappelé.

Où sont les femmes ?

Par ailleurs, s’il s’agit d’effacer des tablettes un nom qui déplait, pourquoi ne pas procéder autrement ?

La ville, et le quartier du Théâtre, manquent cruellement de noms de lieux honorant des femmes célèbres. Pas une seule place sétoise à notre connaissance n’honore une femme. Les places sétoises se nomment par exemple : place André Cambon, place Aristide Briand, place Édouard Herriot, place Jules Moch, place Léon Blum, place Léon Jouhaux…

Pourquoi donc ne pas rendre hommage à Marie Curie, Lucie Aubrac, Louise Michel, Simone Weil… ?

Pourquoi aller chercher un homme certes illustre, Victor Hugo, dont le nom est déjà honoré 1620 fois en France ? Et pourquoi l’honorer une seconde fois à Sète, alors qu’il dénomme déjà la plus grande avenue de la ville ?

Tout cela laisse penser qu’il s’agit d’abord d’effacer un nom gênant (Stalingrad), sans réfléchir à l’opportunité historique de rompre enfin la malédiction sétoise qui semble écarter les femmes de toute visibilité et reconnaissance.

C’est une occasion manquée, une de plus.